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26.6.12

L'invitation


                               





Quand elle reçut la lettre, elle la pressa contre sa poitrine en souriant. Enfin, elle était arrivée. Elle valsa avec elle à travers le petit studio puis s’assit sur son unique chaise. Elle posa la missive sur la table devant elle, d’une façon solennelle. Elle n’y croyait plus et les derniers jours avaient été terribles. Tout le monde autour d’elle ne parlait que de cette soirée. Et elle mentait en disant que, oui elle aussi, était de la fête. Elle prit tout son temps pour ouvrir l’enveloppe puis  elle sortit le bristol, le petit doigt en l’air comme une princesse. A presque trente ans, c’était pathétique mais elle y croyait encore. Elle lut tout haut l’intitulé dans un style guilleret. Mais elle s’arrêta net à la deuxième phrase.

Son regard se brouilla.

Elle se précipita et brancha son ordinateur portable. Elle visita sa page de Facebook qui affichait, royal, deux cent soixante-douze amis. Elle envoya le même message à ses trois amies : "au secours les filles ! Il me faut un mec pour la soirée de samedi ! On doit être accompagné c’est obligatoire, qui peut venir avec moi ? J’ai trois jours pour trouver ! Vite, toutes : à mon secours !! " Elle laissa l’ordinateur en vieille, fit une petite prière pour que les filles lisent son message rapidement et s’attaqua à son téléphone portable. Elle appela une vingtaine de personnes.

Deux heures après, elle avait l’oreille droite en feu, plus de forfait  et le moral dans les chaussettes. Sur son écran d’ordinateur, pas de message, sur son téléphone rien. La soirée fut lugubre.

Elle passa les deux jours qui suivirent comme dans un sous-marin. Elle flotta entre deux eaux, passant du désespoir le plus noir à une petite confiance toute rose. Le vendredi arriva et elle n’avait trouvé personne. A chaque fois qu’elle ouvrait son frigo pour nourrir son angoisse, le carton d’invitation la narguait, bien en évidence sur la porte. Gnagnagna. Elle avait du ouvrir cette saloperie de porte une centaine de fois. Elle avait pourtant essayé des tenues de soirée, avec ses collègues de bureau, pendant la pause déjeuner. Elles avaient passé un bon moment et la séance d’essayage s’était transformée en crise de fou rire. 

En rentrant chez elle, elle eu juste envie d’allumer le gaz et de se mettre la tête dans le four.

Elle passa toute la soirée à surfer sur Facebook. Même qu’elle s’était vu dans une fête chez une copine. La légende mentionnait «sur cette photo : personne » : ça l’avait achevé. Elle a regardé longuement la photo, où elle riait à pleines dents. Elle se rappelait  ces soirées inévitables, entre copines célibataires. Elle en avait ras le bol de ces ambiances de gonzesses. Elle avait envie d’un homme. Un vrai, un poilu, un dur, un fort qui partagerait sa vie, sa couche, ses rêves ! Elle n’était pas moche. Elle avait un bon boulot. Elle n’était pas idiote, encore jeune. Qu’est-ce qui clochait chez elle ? Peut-être trop exigeante ?  Mais pour être exigeant, encore faut-il avoir le choix. La drague sur internet, ça lui faisait peur : trop de malade, d’obsédé, de menteur, de maniaque. C’est sa maman qui lui a toujours dit  "méfie-toi ma fille, les hommes, ils ne pensent qu’au sexe et après ils te jettent !" Le venin maternel s’était distillé lentement dans les nervures de la jeune fille en fleurs.  Et maintenant, elle avait du mal à faire confiance aux hommes. Pourtant, autour d’elle tout le monde avait l’air amoureux et heureux. Comment faisaient-ils, eux ? Pourquoi cela avait l’air si simple pour eux ?

Elle jeta un dernier coup d’œil sur son portable : rien, sur son ordinateur : aucun message. Elle surfa même sur des sites d’Escort Boys. Elle ricana comme une idiote avec le sentiment excitant de faire quelque chose de sale. Tous ces hommes étaient beaux, musclés, elle en aurait bien croqué un... 

Elle referma la boîte à phantasmes d’un coup sec. Elle s’était couchée avec un Lexomil, au milieu de ses ours fétiches : ceux-là ne la quitteront jamais. Juste au-dessus de son lit, le gros cœur rouge en plastique avait clignoté toute la nuit. Comme pour appeler à l’aide.

Le samedi matin, elle était allé faire ses courses à Carrefour.

Le samedi soir, elle avait regardé « Sacré soirée » en pyjama sans âge. Elle avait bu une tisane amaigrissante infecte, avec un masque de beauté gluant sur le visage. Elle avait grignoté des biscottes et mis des miettes partout.Qu’est-ce qu’elle était bien toute seule ! Personne pour lui faire de réflexions. C’est ce qu’elles se disaient entre copines de bureau. Le dimanche, elle avait passé la journée  chez ses parents, comme presque tous les dimanches depuis vingt-neuf ans.

Le lundi matin avant de partir au boulot, elle s’était dit que de toute façon, elle détestait ce genre de fête. C’était trop superficiel, trop vulgaire, trop… elle avait balancé le carton d’invitation à la poubelle.

Une nouvelle semaine commençait. Des fêtes il y aura d’autres et puis de toute façon, les hommes, tous des obsédés.